Eve Carton

A propos

EVE  CARTON,

d’après Monique Boghanim, février 2012

 

« Un peintre montre l’apparence des choses, par leur exactitude objective – en réalité, il donne une nouvelle apparence aux choses. »http://arts.fluctuat.net/ernest-ludwig-kirchner/citations.html

Ernest Ludwig Kirchner

 

Peindre l’Eternel Présent

Eve Carton a quitté les rives de l’abstraction pour celles moins prisées de l’art Figuratif. L’avant-garde officielle qui juge l’esthétique contemporaine, prône l’abstraction et le conceptuel. Si au XIXème siècle, la révolution photographique a tué un certain type de la peinture, c’est celle de l’imitation du sujet. Aujourd’hui, ce qui reste à l’artiste c’est peindre autrement la même chose.

D’aucuns bien informés des tendances de l’art (« les précieuses ridicules »), pourraient trouver Eve Carton inactuelle. Le philosophe Michel Onfray définissait Gérard Garouste comme peintre inactuel, en ces termes : «  L’inactuel n’est d’aucune actualité particulière car de toutes les actualités : Insoucieux de faire trace dans l’histoire en épousant un monde, le peintre inactuel laisse une trace dans l’histoire justement parce qu’il ne l’a pas voulu et qu’il a délaissé les sirènes audibles de son temps pour écouter sa voix – sa voie – intérieure et n’entendre qu’elle ». Et Eve Carton a décidé de peindre dans l’instant présent les sensations du monde, les couleurs pures de son monde, ses troublantes visions et le bouillonnement de son âme. Ainsi, à l’écoute de son silence intime, l’artiste peint une œuvre originale et intemporelle. Cette auto-affirmation du peintre puise dans les profondeurs de son affectivité, l’exaltation de son propre tempérament. Elle s’exprime, elle exprime (c’est pourquoi on peut la placer du côté des néo-expressionnistes) son inextinguible ardeur à laquelle il est difficile de rester insensible.

Pour elle, cet engagement dans la peinture de la Figure et sa tradition, implique de s’interroger encore et toujours sur la façon dont elle regarde et dont elle représente. En exacerbant la réalité, elle se centre sur la personne figurée pour la réinventer, toucher les sens, nous surprendre, nous déranger et finit par nous convaincre. Par la grâce d’une alchimie personnelle elle acquiert cette patte si singulière que l’on appelle le style. Un art original et torturé qu’elle atteint grâce à une palette audacieuse et un trait sans concession. Eve Carton émancipe la palette chromatique en faisant hurler les couleurs, en privilégiant les stridences aux notes sages, soucieuse d’affirmer sa propre vision aux dépens de la réalité objective. Juxtaposition de grands aplats cernés de noir ici, ou travail tourmenté de la pâte et exploitation des contrastes, ailleurs. 

La torture de l’image comme imago

Eve Carton s’exprime à travers la mise en scène du corps ou du portrait pour lesquels elle n’hésite pas à aller jusqu’à la distorsion des traits. Elle ose s’engager dans des investigations les plus hardies, se risquant dans les voies de l’excès.

Après l’effet du saisissement plastique pur on se pose la question du signifié pour ce signifiant chromatique. Que veut dire le peintre ? Quel message à nous transmettre ? Et si la figure reproduite n’était que la représentation inconsciente de l’artiste, celle là-même qui régit ses rapports à l’autre, l’image comme imago. Elle se projette dans sa peinture à chaque fois différente selon ses états âmes, en osmose avec son art dans une sorte de catharsis libératrice. L’artiste nous parle d’elle quand elle réduit à un implacable silence ses personnages aux bouches cousues. La distorsion des corps, les doigts allongés et amaigris, les cernes noirs qui scarifient la peau trahissent dans une désarmante authenticité la complexité du peintre et de ses alter ego. Les arêtes des faciès, l’angularité saillante des traits tirent le portrait vers l’inquiétude, le futur menacé ou la lourdeur du passé des expériences vécues.

Son œuvre relève de la psychanalyse moins par le coup de pinceau qui trahit ses pulsions que par l’ambition névrotique de ses thèmes (Introspection, L’Existentielle, Pensées, Entonnoir, Question, Américan-Psycho, Cartel…..). Avec Eve Carton nous découvrons que l’inconscient lui aussi, fait partie du réel et peut être objet de peinture.

 

La Force Expressive du Regard

Le regard quant à lui est toujours très énigmatique. C’est le regard qui scrute, qui focalise ou qui fuit. Tantôt, encerclé, empâté de couleurs, exorbité, il invite le regardeur à intégrer la perception intime de l’artiste. On est profondément absorbé par la concentration, l’intériorité du portrait d’Introspection. L’intensité du regard relève presque de la menace dirigée contre lui-même lors de cette auto analyse. Ailleurs et en contre point, les pupilles sont désaxées au point que le globe oculaire se vide, comme énucléé. Cette vacuité est l’absence de regard pour ne pas voir.

Les jeux des regards entre plusieurs protagonistes fascinent le peintre car ils y polarisent les doutes et l’indicible des rapports humains. Dans Printemps, le voyeur épie le couple qui semble se mesurer du regard, dans une approche circonspecte.  Le voyeur, caché, entretient un rapport pervers et impuissant avec la scène qu’il croit posséder. Mais avec son œil savamment cadré, il est si fasciné par son désir de posséder l’image interdite qu’il ne se rend pas compte qu’il est lui-même regardé par le spectateur devenu voyeur à son tour. Le ballet des regards est porté à son comble par une troublante géométrie, dans Cartel. Il y a ceux, avisés qui  regardent l’autre en face et ceux, soupçonneux qui le regardent en biais, résumant les mensonges et vérités relationnels.

 

Le Masque comme mascarade humaine

Le portrait dans l’œuvre d’Eve Carton trouve une sorte de relais avec le masque. Lorsqu’elle peint Le Masque, référence tangible aux Arts Primitifs, l’artiste ne défriche pas là un champ inédit dans le domaine plastique, loin sans faut : Gauguin, Nolde, Rouault, Ensor, Dix, Chagall, Picasso et tant d’autres l’ont exploité dans leurs créations. Il est l’accessoire expressionniste par excellence en ce sens qu’il fige l’expression, la greffe à un support. Dans Venise, elle ne représente pas ces accessoires décoratifs que l’on trouve dans la ville Ligure, mais des faciès livides, dépourvus de regard, qui provoquent une sensation d’effroi et de répulsion. C’est une multitude de visages qui constitue Entonnoir. Chaque individu est comme noyé dans les flots d’un maelström, métaphore de vertige et d’angoisse, peur de la  mort et de la solitude. Certains de ces visages-masques évoquent Le Cri du norvégien Edvard Munch en 1893, ce cri intérieur né de la fragile existence humaine.

Le peintre investit le monde du cirque et des clowns dont les visages grimés sont une autre forme de masques. Aborde-t-elle ce chemin plastique du côté du divertissement et du rire exutoire ? Use-t-elle de ce référent iconographique qu’à des fins plastiques, employant le clown comme virtuose de la pantomime expressive ? Ou bien est-ce pour mettre l’accent sur l’ambigüité du burlesque déchirant que le clown porte en lui. Cela tient au fait que le clown apparaît comme un être double, appartenant aux deux mondes, ceux de la réalité et de l’apparence, de l’être et de l’apparaître, comique et tragique à la fois. Il exorcise par le rire la peur tapie en nous. La joie et la fête que représente le cirque ne sont là que pour masquer une réalité grave, triste et misérable, celle de notre condition humaine.

Ce thème du masque et du travestissement reste étroitement lié à la conception stoïcienne du monde comme étant une scène de théâtre où nous jouons tous la comédie. C’est l’hypocrisie des faux-semblants qui est invalidée.

 

 

La gravure au cœur du processus créatif

La gravure sur bois, technique remise au goût du jour par certains expressionnistes allemands du début du XXème siècle, était un moyen apprécié par ces artistes pour les effets tranchés, denses et contrastés qu’elle propose. Pour ces mêmes raisons, elle occupe une place déterminante dans l’œuvre d’Eve Carton influençant certainement son développement pictural. Elle lui permet d’accroitre son pouvoir d’expression et de renforcer sa maîtrise du dessin. Elle lui apprend l’économie de moyens et la pousse à synthétiser les formes. Ainsi,  Ernst Kirchner écrit en 1921, à propos de son œuvre gravée : « La volonté qui pousse l’artiste à faire de la gravure résulte, peut-être pour une part, du désir de donner à la forme souple du dessin une formulation fixe et définitive. D’autre part, les manipulations techniques libèrent en l’artiste des forces qui ne sont pas mises en valeur par la pratique beaucoup plus aisée du dessin et de la peinture. De même qu’il est intéressant d’explorer des gravures jusque dans le moindre détail, feuille par feuille, sans voir le temps passer, de même on n’apprendra nulle part ailleurs mieux à connaître un artiste qu’en contemplant ses gravures. »

Et c’est en examinant scrupuleusement cet autre pan de la création de l’artiste, que l’on prend en compte toute la dimension ontologique de son œuvre qui expose sans pudeur la misère physique et morale, l’érotisme et la mort.  Où l’on voit combien dans cette création dense et réflexive, Eve Carton n’a de cesse de chercher au plus profond des arcanes de l’âme humaine et de s’interroger inlassablement sur ses propres doutes.

 

Février 2012

Monique Boghanim

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Manifeste des sensibles 1.0

 

Ce groupuscule d’artistes à échelle variable a constaté la mort par pourriture et dégénérescence de l’art contemporain et revendique un nouveau mouvement appelé Les sensibles. Le socle commun qui les unit au-delà de leur singularité individuelle est leur sensibilité, qui envahit tous les moyens d’expressions utilisés : peinture, sculpture, gravure, littérature, actions, multimédia, éditions, vidéos, réseaux etc. Les sensibles possèdent une vision du monde extra-lucide et tentent de la traduire par leur moyen d’expression avec la plus grande authenticité et vérité ; ils s’astreignent à une recherche et une rigueur qui déterminent leur mode de vie.
Les sensibles savent que le premier instrument de l’artiste est l’artiste – son corps, son âme, son cœur – et que la recherche universelle de l’art est d’accorder la forme avec le fond. Aussi, ils privilégient leur intégrité à tous les niveaux afin qu’elle irradie leur œuvre : la fin ne justifie donc pas les moyens.
Ils se refusent à se servir de la tête d’autrui comme marche-pied. Ils rejettent le cynisme caractéristique de feu-l’art contemporain et préfèrent l’humour et la provocation vivantes.
Les sensibles s’insurgent contre les conventions patriarcales établies, en particulier la psychiatrie traditionnelle (camisole médicamenteuse, internements) et croient en la créativité pour la libération individuelle.
L’art contemporain est mort, vive Les sensibles !

A Nice, le 28 janvier 2011

Eve Carton, Franck Saïssi, Sophie Taam